Tristan Nitot nous parle, dans son excellent Standblog, du conte de la soupe au caillou et nous en narre une version qu’il réserve normalement à ses enfants. Cette version est cependant inexacte et incomplète. Voici la vraie histoire de la soupe au caillou telle que je vais dorénavant la raconter aux deux prunelles de mes yeux, Yanis et Rémi. (Les passages sur fond gris sont repris du texte original de Tristan.)

* * *

Un soir, un renard arrive dans un petit village habité par des animaux. Il porte un sac sur son dos, et frappe à la porte d’une maison habitée par une poule. La poule, craintive, hésite à lui ouvrir la porte. Mais le renard a l’air inoffensif et commence à lui parler de la soupe au caillou, une soupe délicieuse, affirme-t-il. La poule ouvre la porte, et accepte de faire avec le renard une soupe au caillou. On met donc une marmite pleine d’eau à chauffer sur le feu, le renard ouvre son sac, en tire un gros caillou qu’il met dans la marmite. Il explique que la soupe au caillou nécessite d’autres ingrédients. Alors on en parle dans le village. Un lapin apporte quelques carottes dont il n’avait que faire, l’écureuil apporte des navets, le cheval vient avec ses pommes de terre et ainsi de suite pour le mouton, la chèvre, l’âne et tous les animaux, qui apportent ce dont ils disposent. Tous ces légumes finissent dans le chaudron de la poule, avec le caillou.

Bien sûr, une soupe au caillou, ça prend du temps à cuire ! Alors on fait connaissance, on discute entre voisins, on écoute les histoires du renard, qui s’avère être très sympathique. La soupe au caillou est enfin prête, on la partage. Tout le monde a sa part de soupe au caillou qui est d’autant plus délicieuse que l’atmosphère est excellente. On plaisante, on discute, on réfléchit, on partage, on écoute, on palabre, on se demande comment on va bien pouvoir l’améliorer, cette fameuse soupe au caillou.

La nuit est maintenant bien avancée. Tout le village a passé une fabuleuse soirée. Décidément, la poule a eu là une bonne idée en accueillant le renard et son caillou qui permet de faire des soupes aussi bonnes que conviviales.

La renommée de la soupe se répandit comme une traînée de poudre et atteignit les coins les plus reculés du pays. Tout le monde en voulait, tout le monde rêvait d’y goûter. On se mit partout à copier la recette originale. Cependant, les autres villages n’ayant pas le caillou, celui du renard, ils se rabattirent sur des cailloux quelconques, ramassés sur les bords de chemins, pour confectionner leur propre soupe, l’accommodant comme ils pouvaient. Mais ce n’était qu’un semblant de soupe, en vérité.

Entre-temps, des dissensions naquirent au sein du village d’adoption du renard. Des inimitiés prospérèrent et des conspirations se tramèrent. A tel point qu’un jour, ligués contre le renard, certains méprisables animaux réussirent à le chasser du village, non sans lui avoir auparavant subtilisé son caillou.

Le renard repartit vers de nouvelles aventures, vers de nouvelles soupes au caillou, dans d’autres villages, pour d’autres rencontres, différentes et conviviales à la fois.

Les années passèrent. Dans l’ancien village du renard, les choses allaient de mal en pis. On avait certes le caillou, on avait certes la recette, mais il manquait le plus important, le savoir-faire du renard. De plus en plus nombreux, les animaux du village, rebutés par le goût de plus en plus exécrable de la soupe, fuyaient vers les villages voisins. Le village se dépeuplait. Le village se mourrait. Les sages du village, après de longs conciliabules, sont tombés d’accord que seul le retour du renard pouvait sauver le village, pouvait sauver la soupe au caillou. On partit à sa recherche.

On le trouva. Il accepta de revenir. En cadeau, il amenait son nouveau caillou, aux pouvoirs encore plus fabuleux. Hourra ! hourra ! criaient les villageois qui l’accueillirent à bras ouverts.

Renard s’attela à la tâche. Pour concocter sa soupe, il fallait les meilleurs ingrédients, il fallait du temps, de la patience et de la sueur. Mais au final, quel goût exquis ! Le renard et son nouveau caillou faisaient des miracles.

Malin comme un renard... hum, pardon. Malin comme lui-même, le renard ne laissa rien au hasard, améliorant, peaufinant et sublimant encore et toujours sa soupe. Et c’est ainsi que le jour où le fournisseur de l’un des plus importants ingrédients de la soupe faillit à sa tâche, le renard ne fût point pris au dépourvu. D’un tournemain, il dévoila aux yeux des villageois ébahis sa nouvelle recette, préparée avec un ingrédient de remplacement ; la soupe était encore meilleure, encore plus appétissante, affirmait-il.

D’aucuns crièrent au scandale et prétendirent que le renard avait à cette occasion vendu son âme au fournisseur du nouvel ingrédient, car il se trouvait que l’infecte soupe des autres villages utilisait ce même ingrédient. Mais ils oubliaient que l’ingrédient le plus important de la soupe, c’était le caillou.

De nos jours, la soupe au caillou du renard est distribuée partout dans le monde et elle garde toujours cette saveur incomparable. Si vous voulez y goûter, c’est très facile. Elle est vendue dans des emballages frappés d’une pomme croquée.